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Une fable policière

 29/12/2016
"Meurtre à Francheville"

Une fable policière où les personnages -presque issus du réel- n'ont pas vraiment de mobiles mais plutôt des motifs...... 

Meurtre à Francheville
(Un témoin à l'index)

 

 

Ce n'était au fond rien d'autre qu'une espèce d' homme dans un corps de femme, une variété de créature dispensée de cervelle par la nature parfois injuste, privée de pénis évidemment, et puis, comme il ne suffit pas, ce serait trop facile, de ressembler au pire des hommes pour devenir un modèle de vertu, donc demeurer une vraie femme sans plâtrage superflu, sans coiffure de poulpe ni démarche de casoar, ainsi était-elle guidée par une inclination naturelle vers la paresse... Son itinéraire : enclencher le mode coulant, tout-terrain, sourire niais, bottée comme un gardien de chèvres, exhibant en toutes circonstances une fausse décontraction semblable à celle que toutes les filles, garçons manqués, sans féminité mais tout de même féministes à tout crin, affichent en marque volontaire de puissance.

Vivant à la fois une chose et son contraire ; vélléité de s'inscrire dans l'histoire conformiste de la ville le dimanche et s'en affranchir le lundi par caprice de femme-sandwich, incarnant de face et de profil sa propre publicité dédiée à l'exigence du phallus pour toutes..L'essentiel de sa philosophie tenait sur un ticket d'autobus, n'espérant rien moins que d' imposer à l'humanité tout entière, si possible le genre neutre, un genre très affecté qu'elle semblait tenir en grande estime.
Depuis Agnès Sorel et Ava Gardner, il n'y avait pas eu, sauf dans son imagination, une telle beauté comparable à la sienne sur la terre. Le plus magnifique nuage de printemps ne la portait pas, le meilleur des couturiers n'était pas digne de l'implorer, bref, une de ces personnalités décoratives, bien banalisée à l'extrême limite de l'imbécillité , un spécimen que l'on pourrait qualifier de clown malgré soi, tout comme certains clowns sont par nature machiavéliques ou politiciens malgré eux, tandis que d'autres orientent leur avenir en direction du métier de plombier malgré tout, parce que leur vocation de chirurgien-dentiste fut trop tôt contrariée.

De loin, la beauté physique, c'est quelque chose d'impitoyable, mais de près, et entièrement refaite sous le bistouri, parfois ce n'est rien, dès lors que le cerveau est posé sur la table du salon. D'emblée, elle avoua n'admirer que ces chanteurs du samedi soir encombrant les écrans, fausses idoles mais grands experts en guimauve dont la ridicule pilosité soigneusement mal rasée, dit le degré d' inculture à un point que l'on ne peut imaginer si toutefois la faculté d'imaginer, dès la naissance, leur avait été octroyée sous forme d'avantage en option. La môme loufoque, Moi-Je, vous balançait à tout vent sa fameuse devise : "S'il fallait réfléchir à tout" ! sentence qui en disait long sur son programme d'intérêt dans la vie. Mise à part la dédicace d'Arthur le télévisuel- virus dont la parenté avec Rimbaud n'est pas sujette à caution, elle n'avait visiblement pas retenu dix lignes de poésie depuis sa sortie du cours élémentaire première année. Or cette môme loufoque, malgré ses jérémiades perpétuelles et l'effroyable litanie de ses griefs à l'égard de l'homme en général, paraissait en bonne santé physique, mais en apparence seulement, parce qu'au fond, s'il y avait un fond, elle méritait en somme le grand prix de l'archétype de sa génération. A force, à force, trop d'anesthésies à répétition, trop de chirurgie prétendue réputée esthétique, trop de nuits blanches, .....et si Dieu avait existé, il n'avait pas manifestement encore trouvé le temps d'examiner ce que quelques années plus tard, l'Ecole de Police de Saint-Cyr Mont d'Or qualifia de cas unique en son genre.


Il est neuf heures quinze, madame, je vous mets en garde à vue sur Commission rogatoire de monsieur le Juge Rassis. Veuillez vous asseoir, vous avez droit à la visite d'un médecin, à l'assistance d'un avocat. Vous pouvez garder le silence......

La môme loufoque, plus connue à la ville sous l'aimable sobriquet de "mouchamerde", surtout dans le milieu de la nuit bordelaise, ne broncha pas. Seul son affreux caniche nain gronda, me lançant un oeil torve de djihadiste-né ennemi à la fois de l'intelligence et de la Police française réunies. Cette femelle caniche n'avait jamais dû déterrer la moindre truffe de sa vie sur le sol sacré du Périgord et me le faisait savoir sans avoir recours au biais d'un interprète bilingue Français-Chien-chien. Je la voyais bien incendiaire de niche à deux ans, rebelle à quatre ans et désormais irrécupérable.... Si j'avais pu inventer une sourate explosive déguisée en gentil biscuit, je devenais lauréat palmé au concours Lépine de l'année en cours. Mais non, l'éblouissement ne me vint pas, la fibre créative m'abandonna lâchement. Il fallut me résoudre au passage à l'acte administratif afin que la procédure entamée suive son cours.

- Inspecteur-chef Paillet ? roucoula t-elle ?
- Je vous préviens, j'ai horreur que l'on m'appelle Commandant, Monsieur suffira.
- Monsieur ! soit.
- Je vous écoute, j'aimerais entendre votre version des faits. Vous ne portez pas de lunettes ?
- Rarement Monsieur. alors voilà, je venais de garer mon Duster BMW dans le souterrain du parking Francheville lorsque j'ai entendu des gémissements....j'ai cru apercevoir un homme, à terre.....
- Petit, grand, corpulent, genre play-boy ? brise-coeur ou notaire en examen d'urine ?
- Plutôt athlétique, très proportionné....
- Hum-hum....
- Ah ça oui ! et je m'y connais, et puis ma petite Heidi a jappé toute tremblante, un rien la contrarie.....

- Heidi ? votre caniche s'appelle Heidi ?
- Ben oui : pourquoi ?
- C'est le prénom de la nièce du Chancelier Hitler, vous le saviez ?
- Ah ! un Chancelier ? ben moi, la chance... pas trop ces temps-ci, alors, je suis sortie en courant comme une..... Elle se reprit..... comme un lapin, disons un lapin de garonne....
- De garenne, le lapin, de garenne, d'après vous, il est mort ?
- Qui ça ? le Chancelier ?
- L'homme à terre ! dans le souterrain !
- Ben oui, peut-être, j'sais pas au juste.....
- Vous n'avez pas eu l'idée d'appeler les secours , le 18, vous savez, les pompiers !
- Les pompiers ? Mais y'avait pas le feu !
- Les sauveteurs à casquette rouge, ça vous dit quelque chose ?
- Casquette rouge ? j'avais pas remarqué.
- Bon, vous êtes la dernière personne ayant vu cet homme, pour moi, vous êtes à-minima témoin, forcément témoin. Je vais poursuivre mes investigations, donnez-moi votre téléphone portable, on va prendre vos empreintes, préparez votre index droit dans la foulée....


Extrait du premier procès-verbal :

"Mon mari me faisait dormir dans le grenier, il me battait, me trompait avec sa secrétaire, me donnait des coups de pied, comme ça, sans raison, et je tombais du lit, ça le faisait rire aux éclats. j'en avais parlé avec mon gynécologue parce que j'ai avorté, évidemment, j'avais déjà deux filles, dans ces conditions, vous savez, seule pour élever trois enfants, parce que c'est bien triste une femme seule qui dort dans un grenier, sans jamais recevoir la visite des beaux-parents qui, au passage, critiquaient sans arrêt ma façon de préparer les foies-gras en novembre.....et je passe sous silence sa façon de me tordre l'index de la main droite, pour satisfaire ses horribles manies de pervers.".....
- Revenons-en aux faits.
- Mon mari, Eric Marcheix est très copain, enfin quand je dis Marcheix, mon ex-mari donc, c'est un intime du Contrôleur général de la Police, votre Patron ! eh oui !!!! ça vous en bouche un coin ! Monsieur !
- Je vois, je vois, vous voulez pas un game-boy ou un accordéon par hasard ? rien que pour vous déboucher les neurones ? figurez-vous que ça tombe bien, moi, j'ai un frère qui habite Rome, très copain avec votre futur Patron au Vatican, le faiseur de miracles, à mon avis, vous n'allez pas tarder à prier Saint-Antoine, vous me suivez ? (Cette stratégie de la savonnette orchestrée par la môme Cadum commençait à me chauffer les oreilles). "Dans votre position, le Pape ne serait pas de trop pour vous fournir un alibi convenable et crédible". Piquée au vif, parce que toute position ne relevant pas du Kama-Soutra, semblait la déstabiliser, elle pointa soudain l'index de la main droite le long du front et d'un coup sec rejeta une mèche invisible vers les hauteurs du visage. Du pur Mary Poppins dans le texte.


- Je sens que je vais tomber en déprime....
- En quoi ?
- En déprime ! on voit que vous n'êtes pas une femme ! c'est juste avant la dépression, c'est moins grave, si...ah ben si ! j'croyais que la Police engageait des psychologues....vous me la copierez !
- Ne vous gênez pas pour moi.... je veux des réponses nettes et sans bavures, en attendant de réviser votre Kama-Soutra et votre dictionnaire de psychologie au plus vite, que faisiez-vous à vingt-deux heures quarante sous le parking Francheville ?

- Je garais mon Duster.
- Et puis ?
- Je partais en boîte de nuit.
- Quelle boîte ?
- J'allais au Lotus, chez Momo l'herboriste.
- Hum-hum. Le Momo, c'est plus un casier qu'il a chez nous, c'est une encyclopédie. Connaissiez-vous ce journaliste étendu sur le sol ?
- Pas plus que ça !
- C'est à-dire ?
- Ben, je lis pas les journaux...donc....
- Je m'en doute....Gardien ? redescendez madame au frigo, on reprendra à quatorze heures. Sandwich aux nouilles ?
- J'mange pas à midi.
- Je m'en doutais aussi.

 

On essuie toujours le même refrain, confrontés avec ce genre de nana sexagénaire qui se la joue pin-up entre-deux mers, pin-up cassoulet en chasse perpétuelle pendue aux basques, (et aux aquitains, girondins ou périgourdins) lorsque l'occasion se présente, bon maquignon en connaissance marchande, sachant estimer le prix d'une vache ou d'un individu et non la valeur d'une personnalité. Elles sont intimes avec le soi-disant Popaul qui connaît Jojo qui couche avec Mado, belle-soeur de Machin-Truc. Ici, à la Boîte, on s'en fout royalement. Sauf que, d'habitude chaque vendredi soir en été, celle-ci devait s'étaler en goguette sur le Bassin en compagnie de ses potes motards, en pleine marrade telle une dinde, le rire starter éclatant à la moindre vanne illuminant le ciel des cabanes de l'Herbe. Menue telle un pinson des piccadis, elle bouffe néanmoins comme quatre chasseurs du Médoc, d'après Joël D...... Jamais d'huîtres, mais du poisson et du meilleur, un mètre quatre-vingt-huit pour quarante-sept kilos, je me demande où elle le met. En principe, elle aurait dû rejoindre ses filles au Ferret, étant donné que sa résidence à Château-Lévêque était bouclée depuis le jeudi soir. Nous savions déjà que le Prix Nobel de chimie devait être décerné à l'ex-journaliste Alain Bérard (le seul en France à fabriquer des bonbons pour adultes, sans sucre et sans colorants) , une petite invention bien de chez nous qui suscite une ribambelle de jalousies morbides....mais qui pourrait amplement justifier l'intérêt témoigné par le jury du Nobel à son égard depuis des lustres. Lui aussi..... que mijotait-il à cette heure-ci dans ce souterrain bourré de caméras sans menottes ( encore une exception française), ceci dit, aucun criminologue n'a encore établi de statistiques précises à propos du procédé menottes/caméra jumelées)... Et là, mettre les pinces à un malfaisant, là, ça nous aurait bien rendu service. Va falloir appeler le Juge Rassis pour l'informer du déroulement de mon enquête, si toutefois il n'est pas sur scène au Palio en train de jouer au guignol.

- Alors ma bonne Jean-Louise ? ça donne quoi côté fréquentations ? (depuis l'autorisation d'identité neutre, entre nous, cool Raoul) fini les sous-entendus rigolards, du sérieux dans le taf, plus de bla-bla, du résultat, malgré le poids de la fatigue dû aux trois cents heures de Rtt que Paris nous sucrait allégrement....Un de ces jours, braves gens, faudra pas s'étonner si on pose le brassard au pied des marches du Capitole. Nous, on veut bien se surpasser, mais à condition toutefois que les élus du peuple cessent enfin de privilégier la parole du voyou en niant la parole du flic...
- Son portable a parlé, j'ai relevé quatre appels sur la borne Montaigne entre vingt heures et vingt-deux heures trente, te voici les fadettes.
- ????
- Son psychiatre !
- Montaigne ? Périgueux ?
- Exact !
- Y dit quoi le rabbin des cerveaux de pin-up ?
- Il lui donne rendez-vous à l'endroit habituel cet après-midi à quinze heures, dernier SMS, pour les autres appels, banal, rien à en tirer, la couturière, la masseuse, la vétérinaire, la maquilleuse, manque la coiffeuse......
- Bon, tu vas me convoquer le lascar pour demain matin huit heures, tu l'affoles pas, parle-lui de radar grillé, et pour la môme Cadum, qu'elle sonne son avocat, je la reprends après mon sandwich au canard.

 

- Jean-Louise, monte au quatrième, demande au Directeur les clés de sa bagnole perso, prends Nadin avec toi (autre collègue au genre neutre qui naguère répondait au prénom de Nadine)...Allez plutôt me cueillir le lascar au saut du lit.....
- Asseyez-vous docteur, je vous en prie. Nom, prénom, profession....
- Braustein Léon, médecin-psychiatre en cabinet et à l'Ephad.....
- Connaissez-vous madame Ophélie Marcheix ?
- Elle est ma patiente depuis six ans.
- Diagnostic ? névrose d'abandon peut-être ? "taedium vitaë" ? ou simple spleen Baudelairien ?
- Secret médical. Je suis au regret.
- Quelle est la nature de vos relations, au juste, mis à part le divan et l'horizontal associés ?
- Comprends pas !
- Hum-hum...donc divan, c'est bien ce que je dis, divan et canapé, bonne thérapie de base. Madame Récamier a dû vous inspirer.... Vous l'appelez souvent entre deux séances de confession ?
- Ma foi.....
- Combien de fois ? vous voulez jouer au petit Lacanien, relecteur humoristique du papy Freud ? c'est ça ?
- Du tout, du tout.... Puis-je savoir à quel titre vous m'avez convoqué Monsieur ?
- Au titre d'OPJ qui enquête sur un drame récent. Enquête préliminaire, j'interroge les quatre cercles dans l'entourage fréquenté par madame Marcheix, la routine, sans plus. Faudra changer non seulement votre adresse sur la carte grise mais aussi vos répliques quand je vous interroge Monsieur !
- Je vous prie de m'excuser, puis-je aller me laver les mains ?
- Encore ! ça fait la troisième fois depuis cinq minutes ! décidément....J'ai la peste ou quoi ? allez, faites, faites, laissez la porte ouverte, Jean-Louise, accompagne monsieur.

Je n'avais pas affaire à un psychiatre bien ordinaire....l'homme avait déjà fait l'objet de multiples condamnations, multi-récidiviste mais toujours frais comme un gardon.....usage de faux, faux certificats, faux diplômes, faux cursus aux USA, bref, ce mec en poste depuis huit ans s'était payé le luxe d'expédier en taule plusieurs pères de famille parfaitement innocents et quelques flics soupçonnés de magouilles présumées, sans que l'Administration ni le Conseil de l'Ordre n'aient pu le démasquer. Plus fort que Majax, et le comble, un faux blaze bien entendu. En réalité, José Ramirez Della Luna y Sanchez, catalan espagnol naturalisé lors d'un court séjour à Gradignan (par faveur spéciale signée de la main de.......) voyez qui....... Niveau d'études, infirmier spécialisé en soins esthétiques durant sa période au Club trois Etoiles des flots bleus, interné trois fois à Barcelone, reconverti en professeur maître de conférences à Dakar, puis en poste à Périgueux, sur recommandation du président....(voyez qui)....... A l'issue de nos vérifications, aucune concordance entre ses empreintes figurant sur les quatre passeports (Espagne, Israël, Malte et Turquie)....En revanche, bien connu sur notre fichier Canonge . Ce Josélito m'intéressait au plus haut point.
- Monsieur Ramirez : je vous soupçonne de meurtre sur la personne d'Alain Bérard, ne niez pas. Reste le mobile, expliquez-vous.
- Je ne nie pas. C'est bien moi l'assassin.
- Racontez-moi l'affaire en détail s'il vous plaît. Le magistrat ne se contentera pas de simples aveux.
- Je ne voulais en aucun cas que cet ancien journaliste hérite du prix Nobel de chimie, j'aurais préféré mon propre candidat. J'ai prémédité ce meurtre. J'avoue.

- Tsst, Tsttt.....c'était qui votre candidat ?
- Bernard-Henry Levide
- Il n'est pas chimiste !
- Il n'est pas écrivain non plus, mais, réflexion faite il est assez bon chimiste. Quand on est capable de transformer des idées débiles en sucreries humanitaires, faut le faire, non ? y'a en bien qui gobent......je voulais le pistonner......j'envisageais de me surpasser.....
- Se rendre esclave du surpassement n'est pas suffisant monsieur l'humoriste, réfléchissez-bien....nous savons que vous étiez à proximité des lieux du drame, certes, mais encore ? c'est net, escroc aux assurances sociales d'accord, mais de là à éliminer sans états d'âme....le mobile que vous me servez ne me convient pas, vous mentez mal monsieur Ramirez. Je vous ai piégé avec ces petites notions de vocabulaire, notamment quand j'ai dit "taedium vitae", puis spleen, ce sont deux termes identiques ayant varié selon les époques, j'aurais pu tout aussi bien associer en deux temps deux termes analogues : "acedia" et mélancolie, ah ! mon cher monsieur ! dommage pour vous d'ignorer si superbement l'histoire et la chronologie; le grand Charles Baudelaire il est vrai reste intraduisible en Catalan. Avec mes regrets, mais pour le meurtre, pas question, donc, je vous libère, allez vous coucher, vous avez la fièvre....Ne quittez pas la ville toutefois. Je peux encore avoir besoin de vos lumières...
.
- Vous m'offrez un verre d'eau monsieur l'Inspecteur ?
- Une seconde, on vous le porte, restez assise, ne vous décoiffez pas. Saviez-vous que votre prétendu médecin n'était qu'un imposteur ?
- Comment ? que me dites-vous là ? mais c'était un Freudien convaincu !-
- C'est bien ce que je dis. Mais pas moi madame ! Qui plus est, ni Freudien ni psychiatre le Gus !
- Il roulait en BMW, villa sur le Bassin, chartreuse dans le Médoc, deux hectares de Saint-Estèphe.....
- Vos bijoux de chez Cartier, c'est lui aussi ?
- Hum-hum, on projetait de se marier à Saint-Augustin !
- D'après vous, quel aurait été son mobile justifiant qu'il assassine de sang-froid ?
- Ah bon ! il a tué qui ?
- Vous vous croyez où là ? à Stars académie peut-être ? ou bien chez Ruquier ? vous avez pondu un CD électro-magnétique ?
- Je ne chante pas M'sieu ! J'suis pas Josélito.....

Ophéliediote, c'est le cas de le dire...
.

Il est vrai que cette môme Cadum possédait une diction assez bien travaillée, un physique avantageux, deux incisives de lapin et quelques atouts non négligeables placés aux bons endroits, mais en revanche, pour ce qui concerne le quotient intellectuel, je me pris à émettre en une cascade muette toute une série de judicieuses réserves. En premier lieu, cette attirance pour le Freudisme de Grande surface me paraissait bien insolite, sachant que ce clown à la jolie frimousse n'avait guère qu'une centaine de mots disponibles dans son arsenal de vocabulaire à portée de langue. Des mots sans aucune charge émotionnelle ni signification, aucun humour, pas d'intellect et pas d'esprit du tout. Le tout sur un support à base d'onomatopées du style : "Yahoo", "cool" et "Lol". Une sorte d'idiome...essentiellement primaire.

Après moult vérifications, il s'avéra que la Miss ignorait totalement, non seulement la nationalité réelle de l'imposteur, car si on lui disait "Yddish" elle approuvait tout aussi bien. Aucune notion de la géographie. Bien entendu, ce fut le même topo pour papy Sigmund qu'elle qualifia d'Alsacien ! Sa connaissance du sujet psychanalyse se limitait à l'achat d'un condensé, traînant, on ne sait pourquoi, sur les rayons du Monoprix, entre la gondole des outils ménagers et le rayon des carottes râpées sous cellophane. D'après moi, un authentique analyste avait dû le jeter ayant déjà chez lui du papier toilette de bonne qualité. Ce qui prouverait que le bonhomme Sigmund n'est pas à mettre entre toutes les mains, et si, d'aventure j'avais envie de me fâcher définitivement avec mon meilleur ami, il est certain que je lui offrirai les "Trois essais sur la théorie sexuelle", et je garderai Adler pour mon usage personnel. En réponse à la question : "Pourquoi Freud à la poubelle" ? je réponds : "Réfléchissez, allez-donc méditer sous les colonnades du Louvre"....
En résumé, son Ramirez "était dans le médical", il roulait carrosse, elle aussi. L'homme était un pervers, elle aussi, et polymorphe, de la pire espèce....Broum-broum Toto... L'amour des belles carrosseries, les meilleures tables, le Bassin sacré en week-end, les devantures scintillantes...."Il fait quoi ton mec" ? "Il est dans le médical" ! C'est dire à quel point les ingénues du vingt- et-unième siècle ressemblent à s'y méprendre aux naïves du siècle précédent....Ce sont parfois les mêmes, en pire.
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- Il a avoué Monsieur l'Inspecteur ? souffla-t-elle,
- Oui, bien sûr !
- Incroyable, lui ! j'aurais jamais crû...jamais, mais que vais-je devenir seule dans la vie.... soupira-t-elle, enfin, comme dit Michel Cadiot, le créateur du bien-manger, je ferai comme tout le monde...je volerai......
- Vous ne serez pas à la rue, il vous laisse quelques babioles, vous les revendrez en vide-grenier, ou mieux encore, vous travaillerez, vous vendrez des cravates sur le marché Saint-Michel....qui sait....
- Ah oui, mais quand même, ça me fiche un coup, mettez-vous à ma place...
- Ah Madame ! Je n'y tiens pas, il y a entre nous, comment dirais-je ; une sorte de fossé temporel......
- Un véritable chameau ! me faire ça, à moi ! moi qui me débrouillait si bien...quel salaud ! Oh, et puis je m'ennuyais tellement en compagnie de ce sale type...un alcoolique, un violent, pire que mon ex-mari...qui pourtant.... C'est terrible cet ennui Monsieur l'Inspecteur...Oh, je sens que je vais m'ennuyer cent fois plus....Je peux vous appeler Gaston ?
- Je sais, j'ai un prénom à la con. Un officier à la PJ qui traîne Gaston....mes amis m'appellent Mike, ne vous fatiguez pas, et d'une, je pourrais être votre fils, et de deux, je suis gay.
- Vous ? aucun tatouage, pas de percing, rien ! ça alors !
- Comme vous dites ! j'envisage bientôt mon coming-out, j'attends que le ministre de la Justice règle mon cas pour l'opération.
- Ouah ! chébran : Lol ! génial ! vous ferez du spectacle ?
- J'en fais déjà, sous le pseudonyme de Coccinelle, mais je serais probablement nommé au tableau pour l'Ecole de Commissaire, grâce à mon pote le juge Rassis, initié depuis pas mal de temps à l'art de la scène et de l'avancement dans la carrière grâce à ses talents de transformiste, patiemment acquis à la sueur de son front chez Michou.
- J'ai ma fille, justement, elle s'y connaît, un gros relationnel dans le milieu.....n'hésitez pas.....entre nous, je peux le dire maintenant, ce salaud attirait les mineures et pratiquait le massage "french touch" tous les mercredis après le catéchisme...j'avais oublié.....
- Cannabis à gogo ?
- Ben oui ! pour un imposteur, ça la fout mal ......Figurez-vous, une femme seule livrée à l'ennui, le démoniaque ennui....j'essaie de lire, ça ne marche pas, au bout de dix lignes, paf ! Tenez pas plus tard que le mois dernier, on devait se retrouver à Saint-Emilion, eh bien, vous ne me croiriez pas, pas de restaurant, pas d'invitation ! quel radin, avec tout ce qu'il a volé à la Sécu....J'en suis toute retournée !

-
- Jamais de croisière en vue ?
- Pensez-donc ! une semaine à Montpon sur l'isle, à l'auberge des Trois canards et basta ! tu parles d'une lune de miel !
- On a vérifié, votre Gus n'était pas atteint par le syndrome du quarante-cinquième parallèle, c'est déjà ça.....Je n'en dirais pas autant de tout un chacun.....parmi ses véritables confrères....
-???????
- Je vous expliquerai plus tard.
- C'est contagieux ?
- Non non, du tout, c'est pas de l'herpès de boîte de nuit.
- Vous me donneriez des leçons de psychologie ? La voilà qui tentait spontanément de surmonter le poids de ses instincts, mais sans succès...
- Hélas, pris par mes fonctions et le music-hall...bref....
- il m'avait monté une cabane !
- Une cabale....
- Hein ? quoi ?
Son seuil d'attention était au maximum de ses possibilités à l'issue de cinq minutes d'échanges. Elle se mit à bailler sans retenue ; Sa mine de fille sotte par vocation et non par nécessité ayant l'habitude de lire aux toilettes ne me disait rien qui vaille. J'abrégeais.
- Ce sera tout pour l'instant, on devait vous garder quarante-huit heures, mais puisque il a avoué ?....Je vous libère, vous pouvez rentrer chez vous. Bonne journée Madame.

Le dimanche matin, vers neuf heures, je fus réveillé en sursaut. Au bout du fil, le légiste m'apprenait que l'autopsie du caniche venait de révéler que la petite Heidi venait de succomber à un empoisonnement. Les analyses sont formelles. Alain Bérard, lui aussi est victime, on a retrouvé des traces dues à l'absorption de cyanure sous forme de bonbon à la tapenade truffée, or, s'il y a bien un type de bonbons que ne distribuait jamais l'ex journaliste, c'était bien celui-ci, puisqu'il les fabriquait en un procédé expérimental, non encore commercialisé...Conclusion.....


La môme Cadum est en pleurs : la mort d'un petit chien, c'est pas marrant, mais s'entendre accuser du meurtre d'un journaliste adepte de la truffe et de la chimie à ses heures l'est encore moins, et pourtant.....

- Je suis Robert Rassis, juge d'Instruction, Madame, je vous mets en examen et en détention provisoire dès ce soir à la maison d'arrêt de Limoges. Je vous accuse de meurtre avec préméditation, quant à Monsieur Ramirez nous verrons plus tard ce que nous lui réservons concernant ses fausses déclarations.
- J'ai pas de mobile ! mis à part mon O6, c'est pas moi, j'sais pas qui c'est mais c'est pas moi M'sieu, je peux rentrer chez moi si j'vous dit tout ?
- Si si, vous en avez un ! et de taille, ou plutôt vous avez ce que l'on appelle un motif d'agir !
- Faux ! pas de mobile, pas de preuves, pas d'aveux, vous n'avez rien, dossier vide ! Na. J'veux sortir ! C'est de la calomnie ! une enquête de tapettes ! ah ! elle est belle la pouliche !
- Police, pas pouliche, si vous n'y voyez pas d'inconvénient majeur. Rasseyez-vous.
- Moi, je m'ennuie, je m'ennuie tellement ici, c'est triste, c'est sale, beurk !

Je fis entrer les quatre amies de la môme Cadum, en rang d'oignon.

- Votre couturière a fourni le sac contenant les bonbons à la tapenade de truffes, une recette signée Michel Cadiot en réalité, elle vous a dénoncé, on en tiendra compte....la masseuse vous a décontracté les omoplates cinq minutes avant le passage à l'acte, la vétérinaire a concocté la tapenade, quant à la maquilleuse, je ne vous apprends pas avec quel talent elle vous a grimé en sorcière d'Halloween. Nous tenons les aveux, et votre A.D.N. sur les emballages, chacune vous charge tour à tour, vous êtes l'instigatrice, quand à votre Gus à l'heure du crime il subissait sa piqûre quotidienne de viagra. Et voilà le travail ! L'ex journaliste vous avait donné rendez-vous au parking souterrain de Francheville, vous deviez lui fournir le nom d'un autre candidat au prix Nobel de chimie, un concurrent potentiel, (information lâchée imprudemment sur l'oreiller par votre Gus énamouré)..... Vous avez tenté Alain Bérard, en lui offrant un bonbon contre la promesse d'un scoop. L'ancien journaliste, gourmand comme pas deux n'a pas résisté, une fois n'est pas coutume, bêtement, il a accepté. Vous le savez, sous nos cieux aquitains, une offrande à la truffe sacrée ne se refuse jamais..vous l'avez tenté, vous l'avez défié .En somme, la plupart du temps, les gens tuent soit par vengeance, parfois par démence, ou par prudence, ou par appât du gain, rien de tout ceci vous concernant. Il est vrai qu'il n'y a pas de mobile clairement établi, toutefois, avec les aveux de vos quatre complices....l'affaire est dans le sac. Il vous fallait de l'aventure pour casser votre routine, c'est réussi ! En vingt ans de carrière, je n'ai jamais vu un tel cas ! pas de mobile ! Vous êtes vraiment un cas unique dans les annales ! L'acte gratuit ! la rencontre criminelle à égale distance entre l'esthétique, la gourmandise et l'ennui pathologique....

- Je n'avoue rien, rien du tout, je nie en bloc. Je dis seulement que je m'ennuie dans la vie Monsieur le Juge, oui ça, je l'avoue, mais pour le reste, c'est niet. J'étais un jouet dans les mains de ce névropathe, j'étais un meuble à tiroirs...une faible femme suspendue à ses désirs...je ne pouvais rien lui refuser.....
- Il est hors de cause. Un homme abonné au Viagra est un homme qui a des projets érotiques immédiats et qui, je vous l'accorde, vit au-dessus de sa libido ; mais qu'importe, en résumé, la pulsion érotique n'est pas à confondre avec la pulsion de mort, chère madame. Impossible. Ne mélangeons pas Eros et Thanatos par pitié !
- Connais pas ces deux types, qu'est-ce qu'ils ont comme marque de voiture ?
- Laissez tomber....
- Je ne savais pas que ces bonbons étaient gavés au cyanure !
- Au cyanure ? eh oui, vous le dites. Vous refusez de signer votre déposition ? Bon, écoutez, Maître Boudin-Mollard plaidera la folie, ça vous fera des vacances et un petit passage sur Antenne 2. En attendant les Assises, je vous place en détention provisoire, c'est l'exception, mais là, ce sera la procédure. Gardiens ! menottes !
Un mobile qui n'en est pas un....tout de même....L'ennui est votre motif et reste l'unique motif, bien entendu, ce motif ne figure pas dans le Code pénal....Neuf-mille neuf-cent- quatre-vingt-dix-neuf femmes en Aquitaine ont subi l'ennui ce mois-ci, certes, mais est-ce au fond une raison suffisante pour empoisonner son prochain ? Je vous le demande ? Ah ! au fait, chère madame ! voyez-vous, le syndrome du quarante-cinquième parallèle, eh bien vous en êtes la titulaire du trimestre ! Félicitations.
Tout à fait entre nous, on a toujours le choix entre la chute et l'élévation; votre choix fut celui de la paresse, le refus de l'effort... assumez-le....parce que je vous le dis en confidence, l'ennui est une prison sans barreaux dont on ne s'évade jamais.
 

Copyright /Jean-jacques Dallemand

 

 

 




 

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