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Francis Beau

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Réactions, réflexions, idées, convictions

Vu sur le blog de l'intelligence économique les echos cet intéressant article de Claude Revel (La clé de l’influence à Bruxelles - blogs.lesechos.fr, 23 juillet 2008) qui m'a inspiré le commentaire qui suit.

Bravo pour cette vision claire, limpide et intelligente de ce que vous appelez "l’influence" et de nos faiblesses en la matière. Impliqué depuis longtemps dans les profondes mutations imposées par l’explosion des technologies de l’information dans le domaine du renseignement, j’ai été amené à m’intéresser de près à l’intelligence économique, à son concept si controversé comme à ses pratiques tellement nécessaires. Bien que ne comprenant pas les raisons qui avaient conduit ses concepteurs à présenter l’influence comme un des trois grands domaines de la discipline, j’ai été conduit à m’intéresser (un peu seulement je le confesse) à cette activité. Je dois dire que votre article modifie radicalement la perception que j’en avais à la lecture de la presse généraliste et de certains professionnels (qui n’étaient probablement pas les bons). Ces derniers, influencés sans doute par certains idéologues de l’intelligence économique, développent en effet une vision (et probablement les pratiques qui vont avec) très martiale de l’influence, considérée comme une arme plus ou moins souterraine dans la "guerre économique" qu’ils mettent à toutes les sauces. Bien conscient par ailleurs de l’importance et de la nécessité de ce que vous appelez "activité de réseau", de l’intérêt primordial de peser dans les décisions communautaires ou internationales, et de l’impérieuse nécessité d’un véritable partenariat public-privé dans ce domaine, j’étais néanmoins très pessimiste, dans ces conditions, sur la perspective d’une évolution positive de cette activité. La lecture de votre article m’a rassuré.

Je reste cependant convaincu de la nécessité de marquer une distinction très nette entre intelligence économique (ou renseignement d’entreprise) et influence qui sont deux fonctions totalement différentes aux finalités distinctes, même si elles sont très complémentaires et, votre article m’en fait prendre conscience, par bien des côtés assez comparables (faiblesses, mais également aspects méthodologiques). Je suis d’accord avec vous sur le fait que l’influence est "complètement liée à l’intelligence économique", mais cela n’implique pas pour autant qu’elle s’y intègre ou qu’elle en fasse partie. Le renseignement, source de connaissance et d’anticipation est en effet essentiel pour la pratique de l’influence, mais il l’est également pour la stratégie d’entreprise et, dans d’autres domaines, pour la sécurité nationale, la stratégie militaire, la lutte contre le trafic de drogue ou contre le terrorisme, et bien d’autres activités qui n’en sont pas pour autant des sous-ensembles. De la même manière qu’une source d’énergie est essentielle pour le fonctionnement d’une machine, sans pour autant que la machine soit considérée comme un sous-ensemble de la source d’énergie qu’elle utilise, il n’y a pas de raison de considérer l’influence comme un sous-ensemble de sa source d’information ou de connaissance.

J’ai développé dans plusieurs articles publiés sur Agoravox les raisons qui imposent à mon avis un strict bornage de la fonction intelligence économique à l’exploitation de l’information utile (le renseignement d’entreprise), sans l’étendre à d’autres activités de l’entreprise telles que la stratégie, le management, l’influence, mais également la protection. Comme vous dans le domaine de l’influence, je constate des contresens et des applications désordonnées du concept d’intelligence économique, ainsi que trop souvent ses difficultés à s’imposer. Comme vous, j’attribue ces désordres et ces faiblesses à notre incapacité à mettre en œuvre une véritable "pensée opérationnelle" apte à consolider un socle théorique et méthodologique déficient, tout en restant fermement orientée vers les développements pratiques. Votre article me conforte dans mon diagnostic, en même temps qu’il me console de travailler à une discipline qui n’est pas la seule à connaître ces difficultés.

Francis Beau




Le retour du renseignement sur la scène médiatique, à l’occasion de la résurgence de quelques affaires et des réformes en cours, amène à se reposer la question des relations ambiguës qu’il entretient avec l’intelligence économique. La confusion permanente avec l’espionnage montre encore une fois l’étendue de la méconnaissance quasi générale des réalités de ce métier pourtant vieux comme le monde qu’est le renseignement.
Je reprends ici le thème d’un éditorial de Christian Harbulot paru sur le site d’Infoguerre, qui constate le regain d’intérêt des médias pour les liaisons dangereuses entre le monde de l’intelligence économique et celui du renseignement privé. Plusieurs affaires récentes mettent en effet ce que certains nomment les "officines" sur le devant de la scène. Un article du journal Le Point (Ecoutes clandestines, enquêtes illégales, Clearstream… - La République des officines, Le Point n° 1 760) aborde ce thème des liaisons dangereuses dans le monde du renseignement. Ce que dénonce cet article, c’est pourtant plus les relations troubles entre "officines privées" et "services de renseignement officiels" que la confusion entre "intelligence économique" et "renseignement privé" déplorée par Christian Harbulot. Là est à mon avis le vrai danger qui incite à considérer avec une grande prudence le concept de "partenariat public-privé" tant prôné par les promoteurs de l’intelligence économique à la française.

Je ne reviendrai pas plus qu’il ne le faut sur l’utilisation malheureuse du terme "intelligence", mais il faut bien reconnaître que la confusion entre intelligence économique et renseignement, dénoncée par Christian Harbulot est en effet logique, mais pas pour les raisons qu’il invoque : elle est essentiellement due au vocabulaire choisi par le rapport Martre. Le mot "intelligence" ne peut ici être compris dans son sens français opposé à "bêtise", qui désigne la valeur d’une fonction intellectuelle. En effet, l’IE deviendrait dans ce cas un concept particulièrement subjectif et abstrait prétendant qualifier les capacités mentales d’un individu ou d’une société en matière d’économie. On est là très loin de la politique publique, de l’activité professionnelle ou de la discipline que ses concepteurs souhaitaient mettre en œuvre. Il s’agit donc bien d’un anglicisme qui signifie "renseignement", et la "confusion" (il s’agit en l’occurrence plutôt d’une véritable fusion), est inévitable.

Mais, Christian Harbulot a raison de dénoncer une confusion qui amène de nombreux chefs d’entreprise à privilégier la recherche d’informations dites "fermées" (inaccessibles par des moyens légaux) au détriment de l’exploitation des sources ouvertes qui est au cœur de la démarche d’intelligence économique. Il attribue la responsabilité de la prolifération des "officines" aux chefs d’entreprise qui les sollicitent, et distingue deux marchés de prestataires. D’une part le marché des sociétés privées de renseignement qui comme leur nom l’indique renseignent l’entreprise (et dans chaque pays s’applique très cyniquement la règle du pas vu, pas pris, notamment lorsque les services rendus recoupent des enjeux de puissance) et d’autre part, le marché des sources ouvertes, autrement dit de l’intelligence économique qui doit s’exercer dans un cadre légal. Le fond du raisonnement est juste : le premier responsable n’est pas la main qui tient l’arme du crime, mais le cerveau qui l’ordonne.

Malheureusement, la confusion ne provient pas, comme il semble le penser, de la persistance d’une théorie de la valeur de l’information erronée, mais plutôt, à mon sens, d’un vocabulaire qui n’est pas maîtrisé et d’une méconnaissance quasi générale de ce qu’est en réalité le renseignement. "Renseigner" ne veut pas dire "espionner", mais tout simplement apporter un élément de connaissance (une donnée) à quelqu’un, c’est-à-dire l’informer, en réponse à sa demande, afin qu’il puisse savoir pour agir. L’espionnage n’est qu’un procédé clandestin (accès illicite à des sources fermées) parmi de nombreux autres moyens licites (sources ouvertes) pour obtenir cette donnée. C’est cette dernière, ainsi promue au rang d’information, qu’il faudra ensuite exploiter pour la transformer en connaissance et communiquer enfin au commanditaire un savoir lui permettant d’agir sans se tromper. Le renseignement couvre toute cette gamme d’opérations dont le recueil clandestin ne représente qu’une infime partie en comparaison de l’exploitation qui va du recueil de données ouvertes à la communication d’un savoir utile à l’action.

Quant aux enjeux de puissance associés par Christian Harbulot au renseignement confondu avec l’espionnage, ils caractérisent bien les "liaisons dangereuses" dénoncées par certains médias : face à des enjeux de puissance susceptibles de mettre en jeu leur sécurité nationale, les Etats sont amenés à utiliser dans la panoplie du renseignement des armes comme l’espionnage qui ne sont certainement pas à mettre entre les mains du secteur privé. Les véritables liaisons dangereuses ne sont pas entre intelligence économique et renseignement, mais bien entre public et privé en matière de renseignement. Dans le cadre de la politique publique d’intelligence économique préconisée par Bernard Carayon, le partenariat public-privé qu’il appelle de ses vœux me paraît difficile à défendre tant que ces ambiguïtés liées à l’utilisation d’un vocabulaire incertain et à la confusion qui règne dans les esprits entre renseignement et espionnage se traduisent dans la pratique par le mélange des genres particulièrement malsain auquel l’actualité nous fait assister

Réduire le renseignement à la seule recherche clandestine de données provenant de sources fermées est une ânerie qui dénote chez ceux qui partagent cette vision une méconnaissance quasi-totale de cette activité vieille comme le monde. Ce n’est pas entre "intelligence" et "renseignement" qu’une confusion est faite en permanence dans notre pays, mais bien entre "renseignement" et "espionnage".

Tant que ces ambiguïtés et ces confusions persisteront dans le vocabulaire, les pratiques resteront troubles.

Il faudra bien un jour trancher et distinguer clairement le renseignement, qui exploite des données pour les transformer en savoirs nécessaires à l’action, des activités clandestines, qui peuvent permettre le recueil de certaines données nécessaires à l’exercice de fonctions concernant la sécurité nationale. Ainsi définie et encadrée, la pratique du renseignement devient parfaitement légale et mérite d’être encouragée dans les entreprises. Quant à l’espionnage ou toute autre sorte d’activité clandestine pouvant contribuer au recueil d’information fermée, il ne peut être pratiqué que par des services dits "spéciaux" ou "secrets", et relève exclusivement des Etats dans le cadre strict de leurs responsabilités en matière de sécurité nationale.




 

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